I Introduction
La contemporanéité ne cesse de nous montrer les mouvements parfois paroxystiques des migrations, amenant des foules à connaître l’errance et l’exil, où les individus sont forcés de se déplacer pour les raisons les plus variées. En effet,des foules sont poussées à abandonner leur foyer, leur terre natale et se voient obligées à affronter l’inconnu, à partir sans aucune garantie d’un avenir meilleur, sans la certitude de recevoir l’hospitalité dans la terre d’accueil, ou même de pouvoir arriver à un endroit sûr. Il suffit de nous rappeler les mouvements de fuite de centaines d’exilés qui continuent de tenter d’échapper à la terreur implantée par des milices armées dans plusieurs régions de l’Afrique (Libye,..) ou de l’ Asie ( Syrie…) ou encore de l’errance et de l’exil que l’on commence à voir dans les déplacements dans le « premier monde » lui-même. Enfin, pour des raisons les plus diverses, une partie de l’humanité migre, laissant derrière des souvenirs et des affects, des biens et des avoirs et,par terre, mer ou air, des milliers d’individus vont à la recherche de nouveaux espaces où ils pourront reconstruire leurs histoires personnelles et collectives.
Nous savons qu’un grand contingent, particulièrement hybride, car désireux d’intégrer l’extraterritorialité – en refusant toute frontière, adhérant de façon caméléonienne aux endroits et circonstances, se sentant toujours chez soi – se déplace aussi, transite entre des mondes divers. Même si nous ne les ignorons pas, notre attention va surtout vers ces migrations dans lesquelles, de grands contingents humains, vivant dans des conditions inhumaines, cherchent à traverser les frontières, fuyant leur terre natale provisoirement vue comme dystopie.
Par contre, l’errance qui nous intéresse, c’est celle endurée et vécue par ceux qui sont amenés à abandonner les balises des traditions et qui vont pénétrer sur ce terrain mouvant, marqué par l’inconnu, par l’inattendu, par l’imprévu qui est si bien représenté par la notion d’exil. Ainsi nous entendons ce transit souvent involontaire qui amène les individus à se courber sous le poids d’un passé récent, mais qui semble glisser, devenir trop fluide, car les anciennes certitudes deviennent minces, et les souvenirs des visages aimés semblent se défaire.
Et, sans doute, le nouvel enracinement, l’abri de l’exil présuppose la que) l’individu puisse chercher et trouver des affects, vivre l’amour – ici pris dans sa pleine acception – et qui a comme synonymes : solidarité, responsabilité, compassion et soin qui, de leur côté, sont encastrés dans la foi, dans la mesure où
Tener fe requiere coraje, la capacidad de correr un riesgo, la disposición a aceptar incluso el dolor y la desilusión. Quien insiste en la seguridad y la tranquilidad como condiciones primarias de la vida no puede tener Fe; quien se encierra en un sistema de defensa, donde la distancia y la posesión constituyen los medios que dan seguridad, se convierte en un prisionero. Ser amado, y amar, requiere coraje, la valentía de atribuir a ciertos valores fundamental importancia, y de dar el salto y apostar todo a esos valores. (FROMM : 2008, p. 166)
2. Les romans choisis : raisons d’un choix
Pour illustrer notre idée sur les concepts d’errance, de nomadisme, nous prenons deux romans francophones : Aaron (1954) d’ Yves Thériault et Les Amants désunis (1998), d’ Anouar Benmalek.
En fait, nous considérons que « […] comparer peut être vu comme la saisie de traits communs inscrits dans des œuvres précédemment travaillées, qui sont considérées comme investies d’un sens associé qu’il s’agit de révéler, faisant parler le texte car « […] il s’agit (de fait) d’établir des convergences de discours, du littéraire aux autres discours, comme le social, le politique, l’anthropologie, etc. que chaque œuvre renferme à divers degrés et dans des modalités spécifiques ».
Il est clair qu’il revient au chercheur, qui se propose d’établir et de vérifier des hypothèses et des intuitions, la responsabilité indéniable de provoquer le dialogue entre des réalités sociales différentes, à travers l’approche des discours de façon à rendre possible l’émergence de points d’articulation pas toujours évidents car pouvant être sous-jacents au texte.
2. 1. AARON, D’ YVES THÉRIAULT : ENTRE LA TRADITION ET LE MULTICULTUREL
Dans Aaron (1954), l’adolescent élevé par son grand-père est le personnage homonyme qui brisera le poids de la tradition que le monde judaïque orthodoxe lui imposait et disparaîtra dans la ville de Montréal, s’ intégrant alors à la multitude des anonymes, la majorité d’entre eux étant des immigrants, montrant ainsi le multiculturel et le pluriculturel qui caractérisent la métropole canadienne en particulier.
En fait, cet adolescent au nom biblique dénotant le choix évident et délibéré de son créateur à établir un dialogue entre son texte littéraire et la Bible judaïque-chrétienne, a été élevé par son grand-père ayant, lui, le patronyme symbolique de Moishe, une variation du nom du patriarche biblique Moïse.
En effet, tel l’ancien patriarche, Moishe parvient à tirer sa famille de la terreur des pogroms en Russie et à trouver refuge et asile dans une Amérique pas du tout utopique. D’abord, ils séjournent aux États-Unis, à San Francisco, où ils connaissent la misère même dans un paradoxe apparent puisque la ville entière devient à leurs yeux le symbole le plus évident de la prospérité : le bâtiment ainsi que les autres industries grandissent, les rues et les avenues sont élargies, des immeubles sont dressés vers le ciel, etc.
Par contre, Moishe vit sous le signe de la tradition : voulant être fidèle à ses ancêtres, même immergé dans ce monde industriel, il est tailleur, et dans sa profession manuelle, son aiguille va et vient sous une autre logique du temps. Et la tradition
« implique une certaine immobilité, l’identification d’ un centre dans lequel investir, protéger, constituer comme espace plein et stable […] C’ est chercher la sécurité de l’ identité confirmée. […] donc […] cela implique un regard tourné vers soi-même, vers le centre, et qui réaffirme les principes d’ une identité collective. La tradition dit qui nous sommes, d’ où nous venons, où nous devons aller, ce que nous avons en commun »(GERVAIS: 2001,p. 215)
Dans un monde de la modernité, du mouvement et de l’urgence, Moishe refuse d’adhérer à tout ce qui ne porte pas les traits distinctifs de l’ethnicité radicale, donc d’une tradition assurée.
« Il voyait prospérer ce pays d’abondance tandis qu’il restait comme soudé au même degré de l’échelle. Autour de sa maison, de la Maison qui était le lieu de la perpétuation et l’enceinte sacrée où la famille se continuait vers les âges futurs, San Francisco devenait puissante. Tout y coûtait plus cher. Le moindre aliment avait doublé de prix, les moindres services se payaient à prix d’or et le loyer de Moishe fut une fois de plus augmenté. Et le salaire restait le même. La table autrefois frugale mais nourrissante devint misérable. Les meubles qui geignaient de misère ne furent pas remplacés non plus que les vêtements. Petit à petit, Moishe se vit aller, lui et sa famille, vers une décadence quasi imperceptible mais inexorable. David avait grandi vite, en force. Un garçon bien bâti qui devint tôt un écolier turbulent et trop tôt encore, au gré de Moishe, un adolescent. (AA, p. 16)
Quelques temps plus tard, se mariant avec Rebecca, orthodoxe comme lui, David partage la pauvreté avec ses parents et accroît la préoccupation de Sarah, sa mère qui découvre, les yeux pourtant encore émerveillés par la « liberté de l’Amérique », la misère et le manque d’espoir dans lesquels ils vivent. Se sentant trahie par ses propres croyances religieuses, Sarah demande : « Où allons-nous? A quoi servent toutes ces privations ? D’autres gens gagnent bien leur vie. Pourquoi pas nous? » (AA, p.22). Pleine de colère, maudissant la vie et tout ce qui l’entoure, Sarah meurt quelque temps plus tard, avant la naissance de son petit-fils qui se nommera Aaron, « porteur des verges et perpétuateur » et dont la mère Rebecca meurt en couches. Plus tard, David suggère à Moishe de partir puisque lui non plus ne supporte plus de vivre à San Francisco : « […] Au Canada, dit un soir David, il y a un nouveau sol, des cités… Nous pourrions recommencer. C’est au Nord. Un grand pays riche […] » (AA, p.25).
On note que si pour David, l’exode est inaugural et ne lui provoque pas de contraintes puisqu’il est librement choisi, pour Moishe, c’est la répétition douloureuse de la tradition du « peuple errant » dans son incessante fuite. Son angoisse diminue seulement quand «[…] dans le quadrilatère formé par les rues Saint-Laurent, Mont-Royal, Saint-Denis et Sherbrooke, Moishe retrouve les gens de sa maison et aussi les gens des petites tribus […]» (AA p.26). Cependant, avec la mort de David, sept ans après leur arrivée à Montréal, Moishe perd toute joie de vivre et consacre alors entièrement sa vie à l’éducation d’Aaron
« […] qui avait les cheveux frisés et noirs, la peau olivâtre des descendants des grandes tribus et qui parlait maintenant autant le français que l’anglais, étonnant son grand-père par sa nouvelle science : la science des temps modernes, la connaissance des causes qui appartient en propre aux enfants des cours et des pavés […] » (AA, p. 26).
Alors, hormis sa fréquentation du temple et des rencontres habituelles avec son seul ami Malak, Moishe se tient à distance d’un monde qu’il ne comprend pas et qu’il ne peut donc accepter. Il s’isole, enfermé dans son petit appartement, cousant tout en récitant les psaumes de la Thora. Et ce n’est pas seulement prier le Seigneur mais c’est aussi raconter une histoire, actualisant l’épopée de son peuple, perpétuant la tradition en la transmettant oralement à l’enfant, qui depuis tout petit, l’écoute d’innombrables fois, comme une berceuse.
Accroché à la tradition, cherchant à tout prix à « prouver au Seigneur » sa fidélité et sa loyauté aux lois judaïques, Moishe s’agrippe au passé qu’il considère comme l’unique et véritable source de connaissance et par là même, il se voit dans un monde hostile puisque chargé de symboles et d’icônes d’une modernité accélérée : les voitures, les appareils électroménagers, les avions, les immeubles, les musiques étranges, toute une Babel urbaine et ordinaire sous ses yeux. Courbé sous le poids du passé qui le tient en vie et qui en même temps l’écrase, Moishe a devant lui la ville de Montréal qu’il ne voit pas et n’écoute pas.
« Chaque soir maintenant le vieux se tenait devant la fenêtre largement ouverte. […]Au long du jour, la cohue des véhicules s’était disputé la rue. Puis venait le crépuscule et cette brise pourtant étouffante, depuis longtemps dépouillée de ses odeurs de sapins et de grande montagne mais, en retour, pleine des fumées d’usines et des puanteurs de la grande étuve. Alors les trottoirs se mettaient à grouiller. Parents, enfants, la multitude des troglodytes cherchant répit à l’immense poids du jour; ce qui avait été la pétarade des villes modernes se muait en un son nouveau, masse tonitruante, hurlante : sorte de symphonie hystérique de rires gras, de cris d’enfants, de klaxons, de moteurs, de sirènes d’ambulances. Impassible à la fenêtre, Moishe regardait sans voir, écoutait sans entendre. » […] (AA: p.7) (nous soulignons)
Se rebellant contre la soumission de Moishe, contre la tradition qui les enfermait dans la pauvreté, Aaron entre dans l’archétype du Rebelle, puisqu’il « […] reconnaît l’absence de vérités absolues et objectives [et] en vient à défendre des vérités relatives et subjectives [car] il n’existe aucune signification à ne pas être la signification que nous avons créé au travers de notre intérêt pour les autres […]» . Ou du sens que nous donnons à notre propre vie. Se révoltant contre l’intransigeance de son grand-père, dans un dernier dialogue, Aaron le défie de lui prouver pourquoi il est de fait désapprouvé et blâmé :
« […] J’ai refusé de travailler à tes côtés. C’est donc si grave? Pourtant d’autres synagogues permettent au Juif de vivre dans le monde qui l’entoure sans qu’il passe pour ce qu’il n’est pas. Je te l’ai déjà dit : est-ce que je commets un péché ? Nomme-le ! Dis-moi si je manque de respect ! Dis-le, mais ensuite prouve-moi que tu as raison ! » (AA, p. 151).
Quittant la maison, humilié par Moishe qui le frappe, Aaron doit tracer son propre chemin avec une attitude de confiance et livré à ce que la vie espère de ceux qui ne craignent pas de s’ouvrir à l’Autre, de ceux qui font la traduction, là où les relations sont dans une mouvance continue et dans la précarité. En vérité, entre le faux cynisme de sa petite amie Viedna et l’oppression de la souffrance et de la misère de Moishe, Aaron choisit le « chemin du milieu », ou l’entre-lieu ou l’entre-deux comme nous le montre le narrateur :
« A travers les sanglots d’un orchestre gémissant une chanson tzigane, il entendit – parce que les sons furent puisés à la même source, et que rien ne change qui n’a d’abord été nourri de la grande clameur juive montant des sables brûlants jusqu’aux oreilles du Père – les sanglots de Moishe, et il voulu en oublier jusqu’aux accents mêmes, jusqu’à la cause dont on lui imputait la responsabilité, alors qu’il n’avait voulu que se choisir un destin ».(AA, p.125).
2.2. LES AMANTS DÉSUNIS, D’ ANOUAR BENMALEK : L’ EXIL VERS LE DÉSERT OU LE NOMADISME COMME SEULE ISSUE
Les Amants désunis s’insère dans le canon d’une littérature qui assume l’engagement de dénoncer les horreurs de la violence politique qui sévissait dans la société algérienne, sans préjudice de la qualité littéraire de textes fictionnels d’inégalable valeur esthétique, une fois que
[…] la reconnaissance proprement littéraire n’est cependant pas pour autant toujours au rendez-vous: Il y a peut-être seulement déplacement de la focalisation événementielle de cette lecture. Prise en compte d’une actualité qui a changé. Il ne s’agit plus ni d’anticolonialisme ni de contestation des Etats en place, mais d’une sorte de prise en charge directe de la lourdeur du réel. Là encore, selon une tendance qui dépasse d’ailleurs le cadre de cette seule littérature maghrébine, le référentiel prend le pas sur l’élaboration littéraire, ou plutôt on a l’impression que le gommage de toute littérarité apparente semble finalement l’exercice le plus caractéristique de textes dont la préoccupation cependant reste littéraire. (BONN : 1999, p. 10)
Le roman débute en 1955, dans la région d’Aurès, en Algérie, quand le bus dans lequel voyagent Anna, une Européenne, artiste de cirque qui a échappé au nazisme, et son mari, l’Algérien Nassreddine, sont arrêtés sur la route par les forces militaires et paramilitaires de l’armée coloniale française qui recherchaient des sympathisants ou des terroristes du FLN (Front de Libération Nationale). Même sous le masque, Nassreddine reconnaîtra son voisin comme étant l’indicateur qui sert les forces militaires. Ce fait, outre la rage et l’envie de ses compatriotes le voyant marié à une blanche, une européenne, tout cela lui coutera la prison. Et, comme un déroulement naturel, il connaitra la torture qui l’obligera à dire ce que ses bourreaux veulent entendre :
Dès son arrivée à la caserne, ils le torturent. Les officiers sont tous excités à l’idée de tenir un membre important du réseau FLN local. Pensez donc: il est même marié à une européenne! Ils veulent tout savoir: les noms des chefs, l’organigramme des katibas de la région, sa place à lui dans tout cela… Le sergent à la figure triste qui le fouette avec un nerf de bœuf lui répète toute la journée, presque tendrement: ‘Tôt au tard, tu vas parler, mon bougnoul à costume. Alors, pourquoi pas maintenant? Ça sert à quoi, petit poussin, que tu le fasses quand tu seras tout abîmé?’ […] On lui applique donc l’électricité, puis la bouteille dans l’anus, puis le chiffon imbibé d’urine et de Crésyl. Le tout semble découler d’une routine assez ennuyeuse, bien établie cependant, au point qu’il y a un préposé au fouet, un autre à l’électricité et le spécialiste de la baignoire et des chiffons; il s’agit, en effet, d’éviter la gaffe idiote, celle de crever le prisonnier avant qu’il ne chante! […] Le troisième jour, Nasreddine chante, bien évidemment, quand son courage l’abandonne d’un seul coup, comme une gigantesque falaise qui s’arrache d’un glacier. Il dit tout ce qu’il sait, c’est-à-dire pas grand-chose. Ils le torturent encore un peu, pour vérifier. Il se met à lâcher des noms des relations d’Alger, d’abord ceux dont il suppose vaguement qu’ils sont au Front, puis, sans raison autre que de faire cesser l’effroyable douleur, de personnes de son voisinage, noms donnés au hasard des divagations de sa mémoire et de la plus ou moins forte intensité du fouet (LAD, p. 22-23).
Si, pour fuir la torture, Nassreddine délatte, en le faisant il transgresse une norme sévère et devra souffrir des représailles de la part des dénoncés qui seront, à leur tour, arrêtés, frappés et torturés. Quelques jours après, n’étant plus nécessaire aux forces militaires, Nassreddine réussit à sortir de la prison et va à la recherche de sa famille :
« […] le cœur fou d’angoisse, il se précipite au douar, se rend à la maison de sa mère. […] Il veut hurler quand il reconnaît, éparpillés sur le sol du potager, entre les cardons et les artichauts, plusieurs vêtements de sa mère et des jouets de ses enfants.[…] Nassreddine pose la main sur la poitrine. Il suffoque. ‘Yemma!’, marmonne-t-il, presque rassuré tant l’air embaume, comme d’habitude, la violette et le jasmin, ces deux fleurs que sa mère adore et appelle les ‘amies du bonheur’.[…] Quand la femme ouvre sa porte, elle tressaille d’inquiétude devant ce vagabond efflanqué au visage agité et aux cheveux en broussaille qui secoue des chiffons devants ses yeux. […] Elle se couvre les yeux avec les mains, murmure: ‘Mon pauvre fils, mon pauvre fils…’. Nassreddine la regarde d’un air hagard et montre les vêtements. […] Les Moudjahidin ont dit que tu avais trahi, mon fils… Pardonne-moi, mon fils, mais je ne fais que répéter ce qu’ils nous ont affirmé. Ils ont dit aussi qu’à cause de toi, une mechta a été rasée par les avions des mécréants: hommes, femmes et enfants, presque tous ont été tués…[…] Alors, ils sont venus après le coucher du soleil et ils les ont égorgés, ta mère et tes enfants…Ta mère Zehra a défendu les deux petits comme elle a pu.[…] La sage-femme triture ses doigts:- Et puis, les chiens de la France sont revenus et ils l’ont emmenée (ta femme) de force avec eux. Ils ne lui ont même pas laissé le temps d’aller se recueillir sur la tombe de ses enfants. […] » (LAD, p. 25-26)
Dans le but de situer le lecteur, on va résumer l’histoire de ce livre, un roman d’amour ayant comme arrière-plan la violence déchaînée par les forces politiques qui disputaient le pouvoir en Algérie.
Malade, la sexagénaire Anna, qui habite en Suisse, sachant que sa mort peut être prochaine, se souvient de son amour pour l’Algérien Nassreddine avec qui elle s’était mariée. Retourner en Algérie est aussi une occasion de boucler le cercle de sa douleur, car elle devra visiter la tombe des deux fils jumeaux décapités en 1955, par des combattants fondamentalistes du FLN.
Au retour de leur mariage civil à Alger, Anna et Nassreddine fuirent séparés : il alla en prison et elle fut expatriée vers la France et de là se rendit en Suisse, où elle se maria avec Johan, qui ne savait rien de son passé. Quarante ans plus tard, le couple étant séparé par la même Algérie baignée de soleil, de luminosité et de chaleur, sous les mêmes force en lutte pour le pouvoir, les vieilles barbaries actionnées pour assurer l’hégémonie politique, Anna embauchera les services d’un garçon de rue, Jallal, vendeur ambulant de cacahuètes, lui aussi victime des atrocités de la guerre civile qui sévit dans le pays, pour l’aider à traverser le territoire algérien jusqu’au douar où Anna avait habité avec Nassreddine et qui était devenu aussi la scène de la tragédie qui les avait frappés.
Des pages du récit ressortent les drames des offensés et humiliés, des pauvres, des paysans, des enfants sans domicile fixe et des mendiants qui se mettent, involontairement, entre les forces policières et les messagers d’Allah. Ils souffrent parce qu’ils sont condamnés par leur propre condition socio-économique à demeurer dans un cercle invisible ayant comme murs l’intolérance à (de) l’Autre, qui marque les relations et les sentiments avec les couleurs du plus fort tribalisme. On peut y lire quelques passages extraits parmi plusieurs, soit de la violence pratiquée par les forces qui devraient se charger de tranquilliser la société, dans ce cas la police, soit par les combattants d’Allah, qui luttent pour un supposé autre ordre :
- […] Alors, furieux, les policiers se rabattent sur les faibles et tuent ceux qui n’ont pas d’armes ou assez de forces pour riposter. (LAD , p. 72)
- […] Le gendarme brandit une arme et s’avance sans précaution vers le jeune homme. Nassreddine a levé prudemment les mains. Face aux gendarmes français, Nasreddine a entendu dire qu’il faut toujours se montrer bête comme un âne (en règle générale, a-t-il découvert, les chrétiens ne supportent pas les musulmans trop intelligents!), chatouiller leur vanité en se montrant le plus docile possible, son but, en se montrant le plus docile, est seulement de l’écouter au minimum: […] (LAD., p. 72)
- […] C’est l’émir du groupe en personne qui a mené la prière. Un villageois d’une quarantaine d’années, dont l’aîné avait été exécuté avec une scie, a eu un malaise que les barbus ont interprété comme un refus de prier. La fureur leur a repris. Ils ont fait agenouiller l’homme devant un seau, l’ont égorgé en recueillant son sang. Puis un des tueurs a forcé les villageois, du plus jeune au plus vieux, à plonger leurs mains dans le seau… […] (LAD, p.287)
- […] Trois enfants en bas âge d’une même famille ont été décapités devant leurs parents, puis le père, Hadj Kaddour, égorgé. La mère, elle, n’a pas été tuée; elle a eu les mains tranchées afin, a déclaré le chef des assassins, qu’elle témoigne de l’inflexibilité des ‘combattants du djihad’ face aux traîtres qui servent le pouvoir impie de Pharaon […].” (LAD, p. 286)
L’intransigeance mène à la plus complète absence de solidarité ou de compassion, ne permettant aucune consolation à ceux qui souffrent. Ainsi, quand Anna va au cimetière musulman à Alger, tentant de trouver la tombe de ses enfants, elle voit des femmes arabes pleurant la même douleur, ce qui ne les empêche pas d’être impitoyable envers Anna, blanche et étrangère. En effet, la seule d’entre les femmes qui pleurent pour les enfants égorgés aussi, et qui lui adresse la parole, le fait parce qu’elle « n’a plus de sens», parce qu’elle est sénile, « […] Vieille folle, une gaouria toute nue, une étrangère, tu la prends maintenant pour ta cousine ! » […] Penaude, la femme courbée rejoint le groupe. La jeune femme en noir jette un regard noyé de haine et de larmes à la vieille européenne […] (LAD, p. 32). De même, Jaourden, le Touareg qui vient à la ville pour interner sa femme dans un hôpital, sera aussi vu avec mépris et haine par le surveillant, lui-même en position de subalterne dans la société : “[…] un kabyle lui-même très brun qui n’a cessé de pester à mi-voix contre ces Nègres du Sahara, des presque païens qui viennent juste de découvrir l’Islam et qui, se prenant pour des Blancs, se croient tout permis à Alger […].” (LAD, p. 94-98)
En fait, on peut dire que, se sentant écrasé par l’oppression sociale, chaque individu imagine qu’il pourra se dédommager en repassant à autrui qui lui semble plus faible ou moins menaçant, le propre poids de sa dégradation, la violence qu’il subit dans le quotidien et, ainsi, fait résonner dans toute la société algérienne, le ressentiment devant l’absence de justice sociale. Pour cela, fatiguée d’être écrasée par la douleur, Khalti, devenue folle, partira se cacher dans les montagnes, après avoir échappé aux guerriers d’Allah :
Je les maudis tous, ceux d’en haut et ceux d’en bas. J’avais quatre garçons, ma sœur. Ils étaient beaux, ils étaient toute ma vie! Les barbus m’ont pris les deux premiers et les soldats m’ont tué ceux qui restaient. […] Ma sœur, je les aimais tant, mes enfants… Maintenant, le cœur de Dieu lui-même ne suffirait pas à contenir toute ma haine! (LAD, p. 307)
Représentation emblématique de la souffrance à laquelle sont soumis les plus pauvres, c’est le drame de Jallal. En effet, s’étant enfui de la maison devant le sentiment d’injustice de ses parents, cet enfant va habiter dans les rues, s’abritant dans les égouts de la ville, et doit se défendre,aussi bien de la violence des forces policières que de l’action vengeresse des moudjahidin qui veulent le punir pour sa soi-disant « collaboration » avec les policiers.
Anna, désirant retourner à l’ancien douar où elle avait vécu avec Nasreddine, se fait passer pour grand-mère de Jallal et, avec le visage couvert par le foulard et les yeux peints de kaï, essaiera de traverser la dangereuse Algérie, dans ce voyage qui est une tentative de retourner vers le passé. En réalité, le récit du voyage sert de prétexte pour revisiter l’histoire d’Algérie, après quarante ans passés depuis le premier voyage fait par Anna, le jour de son mariage avec Nassreddine.
« […] Elle reconnaît si peu ce qui l’entoure, tout a changé, parfois de fond en comble, comme si les montagnes et les oueds de ses souvenirs avaient été déplacés. Pourtant, Anna ne peut se débarrasser de l’impression que le temps du second voyage est, en réalité, un temps bossu, déjà vécu, une sinistre plaisanterie du présent que contreferait le passé. Il n’y a plus évidemment d’Européens assis de droit divin aux meilleures places, reléguant les indigènes à l’arrière: les Arabes sont moins pauvres, moins recroquevillés, plus dignes. Mais c’est la même résignation incroyable qui empoisonne l’air du véhicule face à une cruauté interminable, sans tabous, de l’armée et des maquisards, la même peur d’une mort affreuse qui abaisse, au moindre soupçon, les regards méfiants et ferme les bouches bavards! » (LAD, p 101)
Essayant de fuir le camp où il avait été arrêté avec Anna, Jallal sera pris par un guérillero fondamentaliste qui tentera de l’égorger. Pourtant, poussant la main du bourreau, dans un acte de désespoir, Anna arrive à sauver l’enfant de l’égorgement, sans toutefois pouvoir empêcher les séquelles de la coupe dans la gorge de l’enfant. Dans une sorte d’aphasie provoquée par la coupure, Jallal ne pourra pas s’exprimer, ne pourra pas être entendu, dans une emblématique représentation du silence de tous les humiliés et offensés.
En effet, ce sera sur les enfants et sur les femmes que la violence exercée par les deux côtés en combat sera déchargée avec plus de force. Sur le corps des femmes, l’outrage du viol sera la pratique violente la plus commune:
a […] Ça ne sert à rien de résister. Les dents de Khedidja, notre petite lycéenne, tu les a regardées? Ils l’ont kidnappée, il y a quinze jours, à la sortie de l’école. Le premier soir, elle a voulu refuser. Ils l’ont battue, puis l’ont violée l’un après l’autre. Elle a passé trois nuits entières dans la partie de la grotte réservée aux hommes. Pendant une semaine, elle n’a pas pu s’asseoir, tellement son bas-ventre lui faisait mal! (LAD, p. 292)
b. […] Quand on a entendu les voix des soldats, on a compris, ma sœur et moi, qu’on était sauvés. […] Et ma sœur était très belle. […] Elle a été violée devant moi par les trois soldats. Ils m’ont frappé avec un ceinturon quand j’ai appelé au secours. Quand mes parents sont revenus, elle leur a tout raconté. Elle pleurait, on aurait dit un robinet. Elle était comme folle. Alors, mon père et ma mère l’ont chassée de la maison parce que, hurlaient-ils, elle n’avait pas su défendre son honneur. Elle est partie à l’aube et je ne l’ai plus revue. Jallal a trituré le foulard qui cachait ses cicatrices. Je l’adorais, ma sœur, Oncle. (LAD, , p. 347)
Les Amants désunis amène le temps de l’histoire à 1997, quand le personnage de Nassreddine se trouve devant une autre décapitation, un autre attentat terroriste perpétré par des fondamentalistes contre les deux fils uniques de Lalla Yasmina, une femme pauvre qui gagne la (sa) vie comme femme de ménage et travaille pour Nassreddine, dont elle est voisine. Comme dans les pays sous-développés, les pauvres, les peu alphabétisés, échappent au chômage s’enrôlant dans les armées. Dans une société en guerre civile, ce qui serait une opportunité de travail, donc de survie, devient une condamnation. C’est pour cette raison que Lalla Yasmina crie :
Celle-ci, le visage lardé de griffures sanguinolentes, enfermée dans une solitude définitive, hurle avec une force incroyable. Elle s’est agenouillée devant un plateau à plongées sur lequel sont posés deux tasses de café et deux objets ronds, ressemblant à deux ballons coiffés de casquettes militaires. Malgré son cerveau encore mal réveillé, (Nassreddine) reconnaît immédiatement l’un des ‘ballons’: la tête de l’aîné de la voisine. L’expression du beau visage est bizarrement boudeuse, comme s’il était mécontent que sa mère se conduise avec aussi peu de retenue. L’autre tête paraît simplement assoupie. La base des cous est nette et ne saigne pas; les bourreaux ont mis un soin particulier à réussir leur abominable nature morte. Un enfant de six à sept ans, pieds nus, accroché au bras d’un adulte, regarde la mise en scène, les yeux exorbités, et claque interminablement des dents. Sur le sol, un morceau de carton proclame au stylo: ‘Voici le petit déjeuner de ceux qui servent Pharaon!’ ( LAD, p. 44-45)
3. En guise de conclusion
En nous racontant les drames de ces personnages, Yves Thériault et Anouar Benmalek nous dévoilent aussi le drame de leurs collectivités. En fait, même si le pathos se déroule dans différentes parties de ce monde, sous les profils de ces personnages apparemment si différents, nous ne pouvons pas ne pas reconnaître le drame même de toute l’humanité confrontée à la rencontre de valeurs différentes et donc de cultures différentes
Il s’ avère que la disparition d’Aaron dans une ville où il circule librement peut être vue comme un acte sacrificiel, un rituel symbolique par lequel le jeune homme se livre au multiculturalisme qui a fondé la ville cosmopolite de Montréal, dans la certitude qu’en se livrant ainsi, il acquiert le droit à la nouvelle identité que la cité va lui offrir : « […] Ses pas le menèrent rue Saint Laurent, vers un restaurant faussement hongrois où il mangea et but avec d’autres Juifs émancipés comme lui. Le spectacle de variétés était plaisant […] » (AA: 124)
De fait, dans un des passages du récit, le narrateur nous montre Aaron dans un restaurant hongrois où, en écoutant la musique jouée par un violon plaintif, il pourra entendre, au-delà du rythme de la chanson, les lamentations de son grand-père pour toujours gravées dans sa mémoire (AA:124-125).
Société plurielle, voire démocratique, la ville de Montréal, comme nous le montre le dénouement proposé par Yves Thériault dans Aaron, offre l’hospitalité à ceux qui sont capables d’opérer les traductions, d’intégrer de nouvelles valeurs et ne refusent pas de s’ouvrir à l’Autre, cessant de s’enfermer dans des pièges d’une supposée « pureté ».
Par contre, dans Les Amants désunis, la vie sociale urbaine algérienne se constitue, dans l’espace de dégradation, en dystopie, la Terreur menaçant avec la même violence, aussi bien les petits hameaux (= espace intermédiaire entre le rural et l’urbain), que les villes et parmi celles-ci la capitale elle-même devenue un territoire dangereux. Du coup, les individus sont des cibles potentielles des factions en lutte et, pour cela, la solution narrative pointera vers la distanciation de l’espace urbain devenu locus de la dépossession des Algériens.
En ce sens, ce sera le personnage de Jaourden, le Touareg qui, d’une façon emblématique, invitera les fugitifs, les errants Anna, Nassreddine et Jallal à trouver la sécurité et le confort dans l’espace du désert, ici compris non comme espace vide de vie, mais comme un autre espace, avec des formes différentes de vie à la disposition de ceux qui apprendront à y vivre. En effet, le récit nous montrera la richesse de la biodiversité, dans un décor impressionnant, de la sécheresse des sables surchauffés à l’abondance de vie de l’oasis où ils iront s’abriter.
Jallal, rétabli et réconforté par l’amour qu’il reçoit d’Anna et de Jaourden, peut finalement se libérer du joug de la violence, relatant son drame et partant avec le nomade vers le désert, tournant le dos à une Algérie marquée par la violence, qui, bien qu’instaurée par l’abus du pouvoir colonial, a cependant engendré sa face effrayante dans la société avilie elle-même qui répond avec la même insanité, comme déjà le montrait la lucidité d’un autre intellectuel franco-algérien, Albert Camus.
Et puisque le seul miracle possible est l’amour, comme l’affirme Jacques Prévert dans l’épigraphe qui ouvre Les Amants désunis, vainquant toutes les péripéties, contre toutes les expectatives, Anna et Nassreddine pourront se rencontrer et, chargés d’amour, poussés par l’ amour qui était sous les cendres lancées par le temps et par la distance, ils pourront s’aimer (il y a un peu trop d’amour dans cette phrase!). En réalité, il est presque inévitable de se rappeler un autre poète, Jacques Brel, dans son Ne me quitte pas : l’ancien volcan endormi qui revient s’embraser après avoir semblé éteint…
Toute ma vie, Anna, j’ai été contre la violence. Je ne voulais que vivre. Toi aussi, mon Andalouse. Et ça, c’était probablement trop demander… Nous avons mal rêvé, mal voyagé aussi. Mais peut-être n’était-ce pas entièrement notre faute? […] Nassreddine se penche sur elle. Elle devine qu’il s’est déjà posé la question. Et parce qu’il a eu les deux enfants – si morts et tellement présents dans la douleur de leurs parents -, la réponse n’existe pas. L’homme a pris entre les doigts une boucle des cheveux blancs de cette femme qu’il a tant aimée et qu’il aime encore.[…] Comme une prière, il répète: – Mon Andalouse…[…] Il a ouvert les boutons de la robe. Il aperçoit la peau fanée, puis les auréoles. Anna a fermé les yeux, Une légère rougeur a coloré ses joues. La main de son époux glisse doucement sur son ventre. (LAD, p. 345)
Finalement, Anna et Nassreddine, en se rencontrant et sauvant Jallal, ont l’opportunité de sauver un enfant du même destin cruel que la vie avait réservé à leurs deux fils jumeaux égorgés et ainsi ils peuvent se sentir rachetés de l’immense perte, d’une certaine façon récompensés. À son tour, Jaourden,en s’occupant de l’enfant qu’il appelle déjà « mon fils », peut se sentir invité à reprendre sa vie, atténuant le deuil de sa femme Djouma, et retrouver la vie nomade dans le désert, locus ameno, loin d’une cité transformée en enfer par l’intolérance à l’Autre.
RÉFÉRENCES
BAUMAN, Zygmunt, Vida líquida, [Liquid life] traduit par Carlos Alberto Medeiros, Rio de Janeiro, Zahar, 2007
BENMALEK, Anouar. Les Amants désunis. Paris: Calmann-Lévy, 1998.
CAMUS, Albert. Cadernos III. Tradução Antonio Ramos Rosa. Lisboa: Livros do Brasil, s.d.
CARPENTIER, André, Yves Thériault se raconte -Entretiens avec André Carpentier. Montréal: VLB, 1985.
DURAND, Gilbert (2001), O imaginário, Ensaio acerca das ciências e da filosofia da imagem, Rio de Janeiro, Difel.
EAGLETON, Terry (1994). Critique et théorie littéraires. Paris: Presses universitaires de France, 1994.
FROMM, Erich. El Arte de amar. Madrid: Paidós, 2008.
MORIN, Edgar. A Cabeça bem feita. Repensar a reforma e reformar o pensamento. 5ª.ed. Tradução Eloá Jacobina. Rio de Janeiro: Bertrand Russel, 2001.
LIMA DE OLIVEIRA, Humberto Luiz. La perception de l’« Autre » à travers Ashini (1960) d’Yves Thériault au Canada, Tenda dos Milagres (La Boutique aux miracles, 1969) de Jorge Amado au Brésil et L’Espérance-macadam (1995) de Gisèle Pineau aux Antilles. Thèse de doctorat sous la direction d’Alain Vuillemin. Université d’ Artois, 2009.
OLIVEIRA, Humberto L. L. de. FORGET, Danielle. (orgs). Imagens do Outro: leituras divergentes da alteridade. Feira de Santana: UEFS, 2001.
STEINER, George, «Alfabetização humanista», Linguagem e Silêncio, São Paulo, Companhia das Letras, 1988.
THÉRIAULT, Yves, Aaron, Québec, Bibliothèque québécoise, réédition 1988: Québec, Institut littéraire du Québec, 1954.
Résumé
L’époque contemporaine expose à nos regards les mouvements de migrations, parfois poussés au paroxysme, conduisant à l’errance et à l’ exil des multitudes d’ individus pour des motifs les plus divers. En effet, ces foules poussées à abandonner leur foyer, leur terre natale sont contraintes d’affronter l’inconnu, partant sans aucune garantie d’un avenir meilleur, sans la certitude de recevoir l’ hospitalité sur la terre d’accueil, ou même sans l’assurance qu’il soit possible d’arriver dans un lieu sûr. L’errance qui nous intéresse est celle éprouvée et vécue par ceux qui sont amenés à abandonner les balises des traditions et qui vont entrer dans ce terrain mouvant, nourri par l’inconnu, par l’inattendu, par l’imprévu qui est représenté par la notion d’exil. Pour essayer de démontrer comment la Littérature nous montre cette errance et les possibilités de reconfiguration identitaire, nous choisissons d’examiner les romans Les Amants désunis (1998), de Franco-algérien Anouar Benmalek et Aaron (1958) du Canadien Yves Thériault.